Tout comme leurs congénères sauvages, les pandas captifs se reproduisent mieux s'ils choisissent leur partenaire
Publié le : 8 janvier 2016 | Auteur : Jérôme POUILLE | Source : PDX Wildlife | Remerciements : Meghan Martin
Non les pandas n'ont pas de problème de sexe ni une libido en berne ! Non les pandas géants n'ont pas de problème pour se reproduire ! A condition qu'ils puissent exprimer leurs comportements naturels, notamment tous ceux préalables et indispensables à l'accouplement.
Depuis de nombreuses années maintenant, les experts ont démontré que dans la nature les pandas se reproduisaient sans difficulté, dans des conditions d'habitat intact. Les seules difficultés observées dans la nature sont liées à la disparition et la fragmentation de leur habitat, qui rendent plus difficiles les rencontres entre individus et les échanges génétiques. Mais par contre, si ces éléments sont respectés, les pandas sauvages n'ont aucune difficulté pour se rencontrer et s'accoupler avec succès en donnant régulièrement naissance.
La saison des amours, qui s'étale généralement de mi-mars à mi-mai dans le milieu naturel, inclut de nombreux paramètres, principalement comportementaux, qui sont la clef de la concrétisation qu'est l'accouplement. Rappelons que le panda géant est un animal solitaire. Mâles et femelles ont peu de contacts physiques directs entre eux en dehors de la période de reproduction et des relations mères / jeunes. Pour communiquer, ils utilisent des marques odorantes chimiques et des cris. Ils marquent leur territoire à l'aide de griffures, d'urine mais surtout d'une substance cireuse comprenant des composants aromatiques sécrétée par une glande ano-génitale spécialisée. Pendant la saison des amours, ces repères fonctionnent comme des cartes de visite qui indiquent l'état de réceptivité sexuelle des individus. Les pandas seraient capables d’extraire de nombreuses informations de ces marques (dont l’âge et le sexe de l’émetteur) et ils possèdent des capacités discriminatoires sophistiquées pour la distinction entre des odeurs émanant de conspécifiques de catégories variées.
En plus de cette communication olfactive et chimique, les pandas émettent de nombreux sons. Ces signaux vocaux sont complexes et permettent également de transmettre de nombreuses informations. Des études récentes ont permis de démontrer que les signaux vocaux des femelles étaient importants pour la coordination des efforts de la reproduction. Les études révèlent que ces bêlements sont hautement individualisés et qu'ils peuvent faire office de signature vocale. Leurs modalités acoustiques fournissent une information fiable sur le sexe, l'âge voire même la taille du corps de l'appelant (l'émetteur du signal).
Chez les espèces solitaires, cette communication est capitale pour que mâles et femelles puissent se rencontrer et se choisir réciproquement au moment opportun. D'autant que la femelle panda n'est en chaleur (pic de réceptivité) que 1 à 3 jours par an et qu'il est important qu'une communication préalable se soit établie avec ses reproducteurs potentiels.
Pan Wenshi et ses collègues, qui ont étudié les pandas sauvages pendant 15 ans dans les Monts Qinling, ont démontré que plusieurs pandas se retrouvaient sur des sites de reproduction. Les mâles s'agrègent et concourent pour l'accès aux femelles, ces dernières sélectionnant probablement les mâles. Ils ont aussi mis en évidence que les mâles adultes s'accouplent avec plusieurs femelles adultes et que quelques femelles adultes s'associent avec plusieurs mâles lors d'une même saison, suggérant que chacun des deux sexes s'accouple avec des partenaires multiples.
On l'aura compris, la reproduction et la saison des amours sont un phénomène complexe, spécifique à la société des pandas. Et l'on comprend alors immédiatement pourquoi en captivité, chacun dans leurs enclos, les pandas ont quelques difficultés à se reproduire, ou plutôt ne peuvent pas exprimer tous ces comportements indispensables au succès de la reproduction. Encore fallait-il le démontrer scientifiquement.
C'est dorénavant chose faite. Meghan Martin, une biologiste de la conservation rattachée au zoo de San Diego et au zoo d'Oregon et présidente de l'association PDX Wildlife (une association américaine impliquée dans des recherches scientifiques dont le but est d'améliorer la conservation des espèces, et ce au travers de recherches dans le domaine de l'élevage en captivité, mais aussi dans une optique de restauration des habitats et d'éducation du public), est à la tête d'une étude menée de 2011 à 2013 sur 41 femelles et 40 mâles hébergés à la base de Ya'an Bifengxia du Centre chinois de recherches et de conservation du panda géant (China Conservation and Research Centre for the Giant Panda). En observant 26 paires de pandas, elle a pu mesurer la préférence mutuelle de chaque panda et les succès - ou non - reproducteurs.
Les résultats sont sans équivoque et ils viennent finalement confirmer ce que l'on savait déjà pour les pandas sauvages : lorsqu'un panda montre une forte préférence pour l'un des partenaires proposés, la probabilité d'un accouplement réussi est élevée, de même que la probabilité que cet accouplement se solde par une naissance. Les résultats sont encore plus prononcés lorsque l'attirance entre les deux pandas impliqués dans l'accouplement est réciproque. Autrement dit, un accouplement et une naissance ont davantage de chance de se produire si les pandas peuvent librement choisir leur partenaire.
Tentative d'accouplement entre le mâle Dai Li (au-dessus) et la femelle Hai Zi,
à la base de Bifengxia - © PDX Wildlife
Chaque année, à l'occasion de la conférence annuelle du Comité chinois chargé d'évaluer les techniques d'élevage du panda géant (Chinese Committee of Breeding Techniques for Giant Pandas), les scientifiques effectuent des recommandations pour la saison des amours suivante. Ils listent les appariements préférentiels pour la reproduction : pour chaque femelle mature sont listés les mâles potentiels les plus appropriés pour la reproduction, génétiquement parlant afin de maintenir le plus possible de diversité génétique au sein de la population captive et donc d'éviter la consanguinité, y compris sur le long terme.
Meghan et les autres auteurs de l'étude publiée en décembre dernier dans la revue scientifique Nature Communications préconisent alors de faire la balance entre cette gestion génétique indispensable pour la pérennité de la population captive et une gestion comportementale des appariements.
Ne pas se focaliser sur cette seule gestion génétique est un aspect aussi défendu par le comité. Les membres n'ont cesse de rappeler chaque année que la gestion de la population captive doit privilégier trois aspects qualitatifs : la gestion génétique certes, mais aussi la reproduction naturelle et les comportements parentaux.
Dorénavant, le défi va consister à mettre en application dans les zoos chinois ou étrangers mais aussi dans les centres d'élevage ces trouvailles. Les zoos hors de Chine n'hébergent que deux adultes sans possibilité de choix du partenaire. Quant aux deux grands centres chinois, la base de Chengdu et celle de Bifengxia, le défi à relever est d'offrir pour chaque panda un accès à plus d'un partenaire, ce qui n'est pas chose aisée dans des enclos où les individus n'ont pas possibilité de se choisir ou de se fuir.
Plusieurs études ont démontré la limite voire la non pertinence de la stratégie actuelle qui consiste à n'héberger qu'une paire de pandas par zoos. Il est en effet important que des jeunes mâles adultes aient accès à des femelles expérimentées (pour le développement de comportements reproducteurs appropriés), femelles qui doivent aussi pouvoir s'accoupler avec un mâle expérimenté approprié génétiquement. Pour permettre cela, plusieurs scientifiques ont démontré qu'il serait préférable de maintenir un petit groupe de pandas par institutions, et non seulement une paire, sur la base de compatibilités génétiques et comportementales. Les possibilités d'accouplement seraient également multipliées une même année donnée dans l'hypothèse où plusieurs mâles pourraient avoir accès à une femelle expérimentée, un mâle expérimenté et un ou plusieurs mâles plus jeunes inexpérimentés qui apprendraient ainsi le comportement de la reproduction en observant le mâle compétent et en s'essayant à l'exercice (les femelles restant réceptives quelques temps après un accouplement réussi). Des accouplements successifs et répétés maximisent également les chances d'une gestation. Les scientifiques se prononcent pour une stratégie d'accouplement multi-mâles même si elle présente aussi des risques, notamment de blessure en cas de compétition (dans la nature, les mâles peuvent fuir un combat ou une femelle avec laquelle ils ne seraient pas compatibles, ce qui est beaucoup plus difficile en captivité). Les chercheurs restent persuadés qu'il est possible d'offrir à un jeune mâle sans expérience l'accès à une femelle réceptive, notamment après qu'elle se soit accouplée avec un mâle expérimenté. C'est d'ailleurs souvent ce qui se passe dans le milieu naturel. Trois ou quatre pandas seraient un nombre minimum de pandas qui pourraient constituer un groupe plus pertinent pour une même institution.
Sur les 22 dernières années, de 1994 à 2015, 528 bébés pandas sont nés en captivité dont 424 ayant atteint l'âge de 6 mois (soit 80,30%). Presque la moitié des portées sont multiples et dans ce cas c'est l'homme qui intervient pour s'occuper en alternance avec la mère du second petit. Dans la nature, la mère panda ne s'occupe que d'un seul petit, l'autre meurt peu après sa naissance.
A lire :
> Bilan des naissances de l'année 2015 (13 décembre 2015)
> Bilan des naissances de l'année 2014 (18 février 2015)
> 18 novembre 2013 : Bilan des naissances de l'année 2013
> 28 novembre 2012 : Bilan des naissances de l'année 2012
> 17 novembre 2011 : Bilan des naissances de l'année 2011
> 23 avril 2011 : Bilan des naissances de l'année 2010
> 3 janvier 2010 : Une explication au faible nombre de naissances à la base de Chengdu en 2009
> 12 novembre 2009 : Bilan des naissances de l'année 2009
> 1er avril 2008 : Début de la saison des amours 2008
> 5 Novembre 2007 : Bilan des naissances 2007
> 1er Janvier 2007 : Erratum : 34 naissances en captivité en 2006 dont 30 survivants
Pour en savoir plus :
> L'étude complète publiée dans la revue scientifique Nature Communications
> Le site de l'association PDX Wildlife
> Tableau des naissances de l'année 2015
> Tableau des naissances de l'année 2014
> Tableau des naissances de l'année 2013
> Tableau des naissances de l'année 2012
> Tableau des naissances de l'année 2011
> Tableau des naissances de l'année 2010
> Tableau des naissances de l'année 2009
> Tableau des naissances de l'année 2008
> L'élevage en captivité, une méthode de conservation
> La reproduction des pandas et la croissance du jeune
> La réintroduction, le but ultime des programmes d'élevage en captivité
> La communication chez les pandas géants
> Les centres de recherche et d'élevage du panda géant, en Chine